29/03/2008

Les martyrs du Golfe D'Aden meurent en ce moment

"On meurt encore actuellement sous les coups dans le Golfe d’Aden". C’est sur cette phrase que le documentaire de Daniel Grandclément s’achève. Plus qu’un témoignage, du vécu. A bord d’une embarcation en plastique de dix mètres, le reporter a partagé le cauchemar des 128 Somaliens et Ethiopiens en route vers le Yémen. Au péril de sa vie.

"J’étais tétanisé. Je ne pensais qu’à filmer, raconte Daniel Grandclément, filmer ces hommes qui en tuent d’autres." A chaque traversée, c’est la même "routine" : une dizaine de passeurs entassent violemment dans une fragile embarcation plus de cent migrants et migrantes. "Qu’est-ce qui vous fait souffrir ?", demande le reporter à un homme durant la traversée. "Le manque d’oxygène, articule-t-il avec peine, mais je ne peux pas vous parler maintenant sinon ils vont me tuer." Ils sont tétanisés par la violence des passeurs. Les coups de ceinture pleuvent. La menace d’être jeté à la mer plane sans interruption. "Plus le bateau est léger, plus il va vite : les passeurs ont intérêt à jeter des hommes à l’eau", explique tristement Daniel Grandclément.

L’idée de réaliser "Les martyrs du golfe d’Aden" lui est venue alors qu’il réalisait une étude sur le trafic d’esclaves. "Sur Internet, je n’arrêtais pas de voir le nom de la ville somalienne de Bosaso." Pour avoir pratiqué la navigation, Daniel Grandclément ne supporte pas l’idée qu’on puisse jeter un être humain à l’eau. "Cela me paraît une torture inimaginable, j’ai voulu vérifier si c’était vrai". Il se rend en Somalie pour la première fois en 2006. Pendant trois semaines, il tente en vain de rencontrer un passeur qui accepte de lui faire traverser le golfe. Il rencontre néanmoins une Tunisienne mariée à un Somalien du clan Warsangeuli, proche des passeurs. C’est elle qui lui organisera son passage, en septembre 2006.

Le voilà qui attend d’embarquer sur une plage du Puntland, région autonome de la Somalie. "C’est une scène un peu comme dans Tintin, une plage, deux bateaux et des gens alignés en carré, classés par sexe. Mécaniquement, les passeurs les hissent dans l’embarcation et d’un coup de pied, les projettent en avant. Les gens sont imbriqués et ça dure pendant trois jours." Pour la première fois, quelqu’un filme cet enfer. Les migrants n’ont jamais pris le bateau, ils se vomissent les uns sur les autres, défèquent dans une petite boîte qui se renverse. Les disputes sont fréquentes et interrompues par le cuir des passeurs. Le capitaine n’a pas de boussole. Seules les étoiles guident l’embarcation vers la côte yéménite. "C’est moi avec mon GPS qui ai dû leur indiquer la route", hallucine le reporter.

À l’avant du bateau, Daniel Grandclément éprouve de plus en plus de dégoût. Il parvient au bout du deuxième jour à filmer le rire diabolique d’un passeur qui s’amuse de la souffrance des migrants. Le râle obsédant d’un homme qui agonise ponctue la traversée. Des images insoutenables. Comme les autres passagers, Daniel est jeté à l’eau. "Par miracle", tous parviendront à rejoindre la côte. "Quand la mer est mauvaise ou qu’ils aperçoivent les garde-côte yéménites, les passeurs abandonnent les migrants à plusieurs centaines de mètres du bord. Comme ils ne savent pas nager, ils se noient."

L’ONU a dénombré en 2007, plus de 1700 morts lors de ces traversées. On sait que 30 à 40.000 personnes tentent chaque année de rejoindre le Yémen. "Qu’est-ce qu’on peut faire ?", s’interroge le reporter. "Sécuriser leur transport, agir auprès de la Communauté européenne qui donne de l’argent au Puntland…" Pas grand chose en réalité. Sinon "informer pour dire que ça existe vraiment en ce moment".

Nathalie Gros

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