23/03/2007

En 2007...

Hall d'entrée
Salon
Auditorium
Photos : Maïté POULEUR
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Première journée, déjà le choc

Deux surprises pour le démarrage de ce Figra au Touquet, dans ce somptueux palais de l’Europe, parfaitement adapté pour accueillir l’agora trépidante qu’y installe le festival durant quatre jours
Première surprise, la qualité et l’extraordinaire finesse des images sur le grand écran de l’auditorium. Et pour cause : le palais vient de s’équiper d’un nouveau projecteur de 12 000 lumens et d’un nouvel écran qui offre une image de 7 mètres en pieds et de 5 mètres de haut !
Deuxième surprise, un public assez dense présent dans la salle dès la première projection à 9h30. Pour qui a entamé naguère d’autres éditions du festival dans des petits matins blêmes avec 20 personnes à tout casser, y compris le jury, cela fait chaud au cœur.
Et c’est appréciable pour celui ou celle qui a le redoutable honneur d’inaugurer la compétition. Ce mercredi, c’est Anthony Dufour qui a ouvert le bal avec « Japon, les ombres du passé », une solide enquête sur ces Japonais travaillés par la nostalgie d’un nationalisme belliqueux, qui les conduisit à de multiples horreurs avant d’en payer un prix exorbitant. Un peu trop factuel peut-être, « on ne mentionne même pas le fameux écrivain Mishima », comme l’a soufflé un spectateur.
Premier vrai choc de la journée avec « Kigali, des images contre un massacre » de Jean-Christophe Klotz. Il faut savoir que Jean-Christophe fut l’un des rares reporters présents au Rwanda, en plein génocide (avril-juillet 1996), il fut même grièvement blessé par balle lors de l’assaut par les génocideurs de l’église où s’étaient réfugiées des centaines de Tutsis, dont beaucoup de femmes et d’enfants. Il a rappelé à l’issue de la projection qu’il était déjà venu présenter son premier film ici même en novembre 96, alors qu’il marchait encore avec des béquilles. On se doutait bien en le voyant qu’il portait une blessure bien plus profonde que celle que lui avait occasionnée une balle dans la hanche. Dix ans plus tard, il est retourné au Rwanda et en a ramené ce document bouleversant mais aussi riche du témoignage de quelques uns des principaux protagonistes de l’époque : Kouchner, le général Dallaire et ce délégué de la Croix rouge internationale qui formule avec une justesse précise et profonde toutes les questions que cette tragédie nous pose à tous, sur notre silence complice et qu’elle pose aussi aux journalistes et aux ONG sur l’utilité de leurs témoignages puisqu’en l’occurrence ils n’ont eu aucun effet. Le film de Klotz vient aussi à point nommé pour trancher sur la polémique à propos de la responsabilité de la France, qui est beaucoup plus grave qu’on ne veut bien le dire. Un film à voir impérativement, même s’il passe à 2 h du matin. (Il est déjà passé une fois à 22h sur Arte, en novembre dernier).
C’était difficile de toute façon de passer après cette terrible évocation et le film suivant n’a pas échappé à sa fonction « d’antidote ». « Un bébé pour sauver notre fils » du suisse José Roy est une belle histoire de guérison miraculeuse grâce à la thérapie génique. On regrette juste qu’il ne soulève aucune des questions, éthiques, que pose ce genre de pratiques encore expérimentale et très controversées.
Trois autres documents étaient programmés l’après-midi : « Bolivie, la revanche des indigènes », une analyse fouillée de Jean-François Boyer de ce pays en pleine révolution sociale et des images superbes de Nicolas Dom. Ensuite, un document passionnant sur le trafic mondial des médicaments, génériques, vraies et fausses copies de ces pilules qui empoisonnent surtout les populations des pays pauvres. Une enquête bien ficelée par Patrice du Tertre, dommage que l’on voie un peu trop la (belle) gueule de Michel Koutouzis en Colombo des mers du sud.
Enfin, dernier choc de la journée, le magnifique reportage d’Alexandre Dereims en Birmanie, « Un génocide à huis clos ». Un récit haletant, sans temps mort ni grandiloquence de cette rencontre avec le peuple Karen, massacré par la junte birmane et obligé de se réfugier toujours plus loin dans la forêt tropicale. Aucune aide à attendre de quiconque. Tout le monde et en particulier les pays riches sont accoquinés avec la sanguinaire junte birmane. C’est un peu accablant, mais en même temps on se réjouit que ce cri d’appel au secours soit reçu ici au festival et ait une chance d’être entendu.
La suite demain.


Vitesse de croisière

Deuxième journée et le festival a déjà atteint sa vitesse de croisière avec le déroulement de ses différentes programmations et un service de vidéo à la demande qui tourne à plein régime.
Hier soir, la cérémonie rituelle d’inauguration a permis au député-maire Léonce Desprez de souhaiter la bienvenue à tous les festivaliers et en particulier aux membres du jury emmenés par Arnaud Hamelin. Comme à l’accoutumée, nous avons eu un échantillon de la légendaire éloquence du maire et de son étonnante capacité à se sortir en une pirouette des méandres improbables de ses phrases kilométriques. Chapeau, l’artiste !
Aujourd’hui, les projections de la compétition nous ont surtout conduits dans les Amériques, avec quatre sujets.

L’inquiétante « Colonia Dignidad »

José Maldavsky nous a tout d’abord emmenés au Chili pour nous révéler l’existence de cette « Colonia Dignidad, une secte nazie au pays de Pinochet ». Durant 40 ans, un gigantesque domaine entouré de barbelés et de miradors a développé toutes sortes d’activités, certaines avouables comme l’agriculture ou l’exploitation forestière, mais menées dans des conditions d’asservissement inouïes, et d’autres carrément glauques comme la pédophilie à grande échelle, le trafic d’armes et divers autres business. La colonia, dirigée d’une main de fer par un ancien nazi, le docteur Schaefer, a été un allié indéfectible de la dictature Pinochet, servant même de prison secrète et de centre de torture, tout en étant liée à l’opération Condor, de sinistre mémoire. Un document passionnant, déroutant, qui a suscité de nombreuses questions puisque la colonia existe encore, même si Schaefer est en prison pour au moins 140 ans.

Le triste destin des « Restaveks »

Autre révélation, à Haïti cette fois, où perdure un usage étrange, l’esclavage domestique de 300 000 enfants, qu’on appelle les « Restaveks ». Orphelins ou abandonnés par leurs parents, ils sont devenus les bonnes à vraiment tout faire dans d’innombrables familles haïtiennes, parfois très modestes. Alexandre Fronty, le réalisateur, essaie de nous donner un peu d’espoir en nous montrant les efforts des ONG pour freiner le système et organiser un accès à l’éducation pour les victimes parfois très jeunes. (« Enfants perdus d’Haïti »).

Les fabuleuses mères de la place de Mai

Direction l’Argentine avec une évocation de l’association des mères de la place de Mai (« Au nom des mères, des fils et du rock n’roll », de Mylène Sauloy). Récit généreux et touffus de l’action de ces admirables femmes qui luttent depuis 20 ans pour obtenir la vérité sur les disparus de la dictature. Avec des défauts qui sautent aux yeux (et aux oreilles : une bande son épouvantable) comme cette beaucoup trop grande proximité avec le sujet traité.

Contre la peine de mort

Un reportage au Texas réalisé par une équipe allemande qui est surtout un plaidoyer contre la peine de mort. En l’occurrence celle qui a finalement été appliquée à Frances Newton, accusée d’avoir assassiné son mari et ses deux enfants. (« Texas, la mort par injection »). Ce n’est pas le premier document sur le sujet et c’est pourtant toujours aussi angoissant et révoltant. Cela met mal à l’aise également car nous n’échappons pas à cette position de voyeur. C’est pourtant un document nécessaire et qui le restera tant que la peine de mort subsistera et toute la barbarie qui l’accompagne.

A l’assaut de la forteresse Europe

Premier des deux sujets « non américains » de la journée : au Maroc, la barrière de sécurité qui sépare l’Europe du continent africain, à Ceuta et à Melilla. (« A um salto »). Un équipe portugaise de SIC TV a réalisé un solide reportage et trouvé des témoins très crédibles pour expliquer une problématique complexe. Ce qui explique quelques lacunes, par exemple sur le travail du HCR (Haut Comité de l’ONU pour les Réfugiés) au Maroc et des garanties qu’il offre et qui sont bafouées et aussi sur les réseaux d’ONG de défense des droits de l’homme aussi bien au Maroc qu’en Espagne, qui font beaucoup et ont beaucoup à dire sur le sujet.

La dernière plongée

On termine avec cette enquête magistrale d’Olivier Truc et Frédéric Vassort, qui ont retrouvé les plongeurs de grands fonds qui furent les pionniers des prospections pétrolières et gazières au large de la Norvège. Sans eux pas de pétrole ni de gaz pour nous autres Européens. Mais ils travaillaient à des profondeurs vertigineuses et dans des conditions très hasardeuses. A l’époque on ignorait les conséquences physiques et biologiques des épreuves imposées aux organismes par des protocoles de décompression mal connus et mal appliqués. Ces pionniers en ont presque tous payé le prix fort. Un document très fort et construit avec rigueur, avec de superbes images.
La suite demain !

Afghanistan, terre de contrastes

Avant d’évoquer les films en compétition durant la journée de vendredi, un mot sur la soirée de jeudi consacrée à un hommage à Christophe de Ponfilly, reporter et documentariste, auteur de nombreux documents dont le plus connu reste sans doute « Massoud l’Afghan ». Christophe était un vieil ami du festival, qui l’avait primé à plusieurs reprises, notamment en 1990 avec le magistral « Poussières de guerre », réalisé avec Frédéric Lafont. Christophe était extrêmement attaché à l’Afghanistan depuis la fin des années 80, il y avait consacré de nombreux reportages et documentaires. Cela lui avait même inspiré le scénario du film « L’étoile du soldat », projeté au cours de la soirée d’hommage.
Le lendemain, comment s’empêcher de repenser à cette description d’un Afghanistan sauvage et splendide et de ces impressionnants guerriers pachtoune en regardant « Cololaï, femme, afghane, immolée », un film en compétition d’Antonia Rados. C’est un autre visage de l’Afghanistan qui nous est alors proposé, celui d’une société figée dans ses traditions qui cantonne les femmes dans des positions intenables entre mariages forcés, asservissement domestique et mauvais traitements. Beaucoup d’entre elles sont conduites à des actes désespérés, tentatives de suicide, immolation. Antonia Rados était là-bas au « bon » moment, c’est-à-dire au pire, elle a su saisir toute l’intensité d’un drame et nous le restituer avec pudeur et intelligence. Mais quand même, en sortant de la projection, cette question a surgi, fugace : « C’est pour ça que se sont battus les farouches pachtounes ? »

Les derniers jours d’Ernesto « Che » Guevara

Enquête minutieuse de Ted Anspach sur les circonstances historiques, politiques et militaires dans lesquelles le « Che » a été capturé puis exécuté en Bolivie en 1967. Travail soigné, très documenté et solidement construit. Mais est-ce vraiment important de savoir qui, de la CIA ou de la dictature bolivienne est responsable de sa mort ? J’aurais préféré qu’on pose plutôt la question de savoir pourquoi Che Guevara est toujours une icône sur les murs des chambres des jeunes, sur les tee shirt ou les sacs à dos. Que représente-t-il exactement pour ces jeunes générations qui n’ont pas connu cette époque flamboyante où même Régis Debray pouvait encore passer pour un héros romantique ?

La guerre contre le cancer

Si vous voulez vraiment savoir pourquoi vous avez une chance sur cinq d’attraper un cancer et si vous demandez pourquoi on nous promet la victoire sur cette saloperie pour après-demain, en vain depuis 40 ans, exigez de France 2 qu’elle diffuse cette excellente enquête qui dort dans ses tiroirs depuis un an. Pourquoi ? Peut-être qu’elle dérange quelques firmes pharmaceutiques, quelques politiciens ou encore les tenants d’une pensée unique qui dépendent peu ou prou des premières. (« La guerre contre le cancer », de Thierry de Lestrade et Sylvie Gilman).

Missing women : la malédiction de naître fille

Manon Loizeau et Alexis Marant sont allés le vérifier en Inde, au Pakistan et en Chine : on y constate un inquiétant déficit de naissance de filles. Un tri s’opère avec parfois des méthodes sauvages pour éliminer les filles à naitre (« elles ne servent à rien » et coutent cher en dot) au profit des garçons qui s’occuperont, eux, de leurs parents lorsqu’ils seront vieux. C’est en effet assez saisissant de voir un village indien qui n’est plus peuplé que de garçons, très conscients du fait que c’est joué pour eux, ils n’ont plus aucune chance de trouver une épouse. C’est le sort qui attend des millions de Chinois, d’Indiens et de Pakistanais, tant le phénomène a pris des proportions énormes. Etonnant et déroutant.

Nô pintcha/on va pousser

Le sujet réalisé par Barbara Alvès de Costa pour la télé portugaise SIC est vif, émouvant, bien construit. En un mot, efficace. C’est son but puisqu’il s’agit de sensibiliser l’opinion portugaise à la situation d’enfants de Guinée Bissau, une ancienne colonie portugaise, qui souffrent de pathologies graves, non traitables sur place et qui ne peuvent être envoyés au Portugal, faute de moyens. Un seul petit regret : le mélange des genres entre document d’information et outil de sensibilisation pour une initiative humanitaire.

Nous n’avons pas pu voir « Une femme à abattre », de Mathieu Verboud et Jean-Michel Viallet et c’est bien dommage. Plusieurs festivaliers nous ont recommandé ce document, palpitant comme un vrai polar.
La suite de la compétition, celle qui a été projetée samedi, sera mise en ligne demain. Mais entretemps, le jury aura prononcé son verdict et le palmarès de ce Figra 2007 sera solennellement annoncé dès ce soir, au cours de la soirée de clôture.

Jérôme Méry