29/03/2008

Daniel Grandclément, miraculé à plusieurs titres


Le grand prix Figra 2008 tient au miracle. "Les grands reporters ont du talent, et la chance sourit souvent à ceux qui ont du talent", a commenté Daniel Leconte en remettant son trophée à Daniel Grandclément.

Pour réaliser "Les martyrs du Golfe d’Aden", le journaliste a non seulement risqué sa vie, mais il a aussi sacrifié plusieurs caméras. Il a noyé de nombreuses cassettes vidéo… Toutes sauf une. Les images des passagers de la fragile embarcation à destination des côtes yéménites ont été sauvées des eaux. "J’avais autour du cou, avant d’être jeté à la mer, une petite pochette étanche dans laquelle il y avait mon passeport, une carte de crédit et la cassette tournée à bord." Une cassette que les policiers du Yémen ont bien failli lui confisquer. "A l’aéroport, ils ont saisi toutes mes vidéos. J’ai réussi à en subtiliser une : celle du bateau."

De la chance, mais pas seulement

Daniel Grandclément n’en revient toujours pas. Il dédicace son Figra à une consœur. Une journaliste, Marie-Laure Wider Bagglioni, qui "par miracle" était présente sur la plage ce soir-là, attendant de filmer l’arrivée des immigrés éthiopiens et somaliens. "C’est incroyable, je ne peux pas y croire. C’était la première fois qu’une équipe s’intéressait à cette traversée, et il a fallu qu’elle soit là, pile au moment où on arrivait." Daniel Grandclément n’apparait pas sur les images de la journaliste suisse. Les passeurs l’avaient mis en garde : "Une fois débarqué, enfuies-toi ou les migrants te voleront et te tueront." Il n’est pas resté avec les passagers. Interrogé par Marie-Laure Bagglioni, un immigrant lui révèle qu’un "journaliste français était dans le bateau". Elle réussit à retrouver sa trace. Les images poignantes tournée cette nuit-là, des passagers épuisés, endormis sur le sable, constituent la dernière partie du film de Daniel Grandclément. "La plus belle partie d’après moi", avance-t-il au jury du Figra. La salle se lève. Du jamais-vu dans l’histoire du festival. La chance, encore faut-il savoir la provoquer.

découvrez le palmares du Figra

Nathalie Gros, Photo : Maïté Pouleur

Lanceurs d’alerte

Le festival touche à sa fin, bientôt les projecteurs s’éteindront sur les dernières images et nous attendrons impatiemment le verdict du jury. Les boulimiques se rabattront sur la vidéothèque dans l’espoir de voir un dernier sujet, mais on sent bien que ce soir, après le palmarès et la fête, la parenthèse va se refermer inéluctablement jusqu’à l’année prochaine.

Que pouvons-nous en retenir, là, tout de suite, à chaud ? Tout d’abord, bien sûr, ce que procure l’expérience unique d’un festival solidement calé sur son axe, celui de l’information qui révèle, donne à voir et à comprendre, sans concession ni vain calcul. Cela donne ce bombardement d’images intenses, ces grandes baffes dans la gueule à longueur de journées, cette accumulation de sujets d’indignation, d’horreur, de révolte et même de rage.

Chapeau donc au public de plus en plus nombreux qui participe, questionne, interpelle les réalisateurs. Ils sont là pour ça, manifestement ravis de ce contact avec « les gens » qu’ils ne voient jamais. Chapeau aussi aux jeunes lycéens et étudiants venus en très grand nombre et repartis bien vite, sans qu’on ait eu le temps hélas de partager l’expérience avec eux.

Pour en revenir aux reporters, aux réalisateurs, on voit bien que c’est pour eux une rare occasion d’être réunis, d’échanger, de discuter entre eux. Ce qui frappe aussi c’est qu’ils ont tous l’air grave et il y a de quoi : ils ne sont pas spécialement porteurs de bonnes nouvelles. Attention, ils ne sont pas sinistres ! Ils savent rire et se déchaînent parfois, un peu comme des internes dans une salle de garde. Mais ce sont avant tout des « lanceurs d’alerte », comme s’est définie elle-même Marie-Monique Robin à l’issue de la projection du « Monde selon Monsanto ». Ils nous racontent ce monde qui va mal, même si tout ne va pas mal dans le monde. Pour preuve, entre autres, le documentaire de Frédéric Soltan et Dominique Rabotteau, « Mumbaï, le rêve de la démesure », qui nous décrit magnifiquement une Inde affrontant sereinement l’immense défi de son développement.

Le plus frappant de ce vaste tour du monde, c’est l’extraordinaire humanité qui se dégage de l’ensemble des documents sélectionnés dans les différentes sections du Figra. Chaque reporter, chaque réalisateur, ou réalisatrice, nous raconte une histoire d’hommes et de femmes avec une proximité, un regard qui pourraient être les nôtres. C’est là tout leur talent de savoir nous faire partager, mine de rien, leur passion et leur curiosité.

Alain Bosc

La cité des "Nettoyeurs"

Une couche d'immondices accueille chaque matin Mourad, chargé du nettoyage pour le bâtiment H de la cité Kalliste à Marseille. Au pied de cette barre, on trouve tout ce dont les habitants ne veulent plus : déchets alimentaires, emballages, mais aussi électroménager ou matelas. Mais ces détritus n'y sont pas déposés, ils sont jetés depuis les fenêtres, au risque parfois de blesser les "nettoyeurs".

Il s'agit des employés d'une petite entreprise, dirigée par Didier Bonnet, qui a décidé de déclarer la guerre à la saleté dans les cités de Marseille : "La priorité absolue est de nettoyer. Cette tâche, anodine ailleurs, relève ici de l'exploit, voire de l'héroïsme." En effet, "il faut de la patience et du courage" pour recommencer chaque matin à ramasser ce qui s'est accumulé depuis la veille, et pour tenter de sensibiliser la population à une attitude plus citoyenne. Et il y a urgence : les rats pullulent et la teigne a refait son apparition. Les conditions de vie dans cette barre déshéritée expliquent, sans l'excuser, un tel laisser-aller : du courage est également nécessaire pour descendre sa poubelle du dixième étage quand il n'y a pas d'ascenseur pour remonter. Le bâtiment est en copropriété privée, c'est donc par des initiatives personnelles que la situation peut s'améliorer.

Le réalisateur Jean-Michel Papazian s'est attaché à suivre ces "héros de western solitaires" dont l'abnégation sort de l'ordinaire. Les "nettoyeurs" sont des gens du quartier, motivés grâce à la reconnaissance de leur travail par leur chef. Il est rare en effet d'entendre un employé dire "mon patron, il m'aime". Mourad garde le moral malgré sa tâche ingrate, mais il prévient les jeunes de son entourage : "Allez à l'école si vous ne voulez pas vous retrouver dans la merde comme moi." Avec ses personnages si attachants, le film est très vivant, et optimiste malgré tout. D'ailleurs après une réunion des habitants, les détritus ne s'accumulent plus autant. Les "nettoyeurs" ont réussi leur mission : le putride "tonneau des Danaïdes" s'est tari.

Fanny Le Borgne

Femme kabyle

C’est un prix spécial du jury mérité. Mais "Le Voyage de Nadia" d’abord un film personnel. Et c’est tant mieux, parce qu’il n’y avait qu’elle à pouvoir montrer cette réalité-là. Nadia Zaoui est revenue dans son village de Kabylie, 18 ans après son départ, 18 ans après son mariage forcé avec un Algérien du Québec. Douze ans après son divorce, cette Kabyle devenue libre est venue voir ce que les femmes de son village sont devenues. Peu de choses ont changé : elles n’ont toujours pas le droit de sortir seules, à cause du qu’en-dira-t-on, des « gens ». « Les gens, toujours les gens, toi qui a vécu dix ans en France, qui admirait leur mentalité, tu es redevenu un kabyle féroce, jaloux », reproche sa meilleure amie à son mari.




Nadia Zaoui montre les femmes âgées, qui dix ans après la mort de celui qui les battaient, gardent encore la peur malgré elles. Elle montre les jeunes, qui vont à l’université et qui malgré cette liberté acquise doivent redevenir des femmes emmurées pendant les vacances d’été. Elle ose aller seule au marché du village, avec ses cousines, pour vérifier le regard et les obscénités des hommes à leurs oreilles.

Elle parle de son histoire, de sa révolte, enfant, de ses rêves qui la faisaient tenir. Et surtout, des traditions qu’elle garde encore en elle. Et des hommes, qui sont eux aussi prisonniers du qu’en-dira-t-on, qui gardent leurs femmes chez eux alors qu’elles ne le veulent pas.

C’est dur, triste, mais il y a un espoir : celles qui partent à l’université font peu à peu bouger les choses. La vétérinaire, qui doit porter les cheveux courts et renoncer sans doute à se marier, mais qui sait rire aux éclats. Des épouses qui découvrent d’autres modèles de vie en regardant la télévision.

C’est dur, triste, mais ça change notre vision du monde : elles ne sont pas voilées, ce n’est pas l’islam le coupable, celui qui a aidé Nadia à tenir pendant toutes ces années. C’est le poids de la tradition. Mais les femmes qui parlent devant la caméra se libèrent. Et Nadia a vérifié, aussi, que la révolte et l’envie de vivre pleinement sont toujours présentes, malgré tous les carcans.

Anne-Gaëlle Besse

"Femmes sans domicile" remporte le coeur des jeunes

Le Jury Jeunes a choisi de récompenser "Femmes sans domicile", le documentaire poignant d'Eric Guéret, que nous avions décrit précedemment.
A la sortie des délibérations, les jeunes votants expliquaient leur choix: "Parce que c'est touchant, déclare Thierry Therouame. Ce sont des portraits de femmes qui combattent et qui dépassent la condition que la société voudrait leur imposer" .
"Je pense que c'est un coup de coeur, ajoute Pierre-Olivier Joets, du lycée Blaise Pascal à Longuenesse, on a pris un petit peu moins le côté professionnel et un peu plus le côté sentimental."
"Femmes sans domicile", qui suivait le quotidien de femmes sans domicile fixe a recueilli les suffrages de 5 des 8 membres du jury.

Pauline Froissart

Palmarès

Grand Prix
Les Martyrs du Golfe d’Aden
de Daniel GRANDCLEMENT – 50 mn – France

Prix spécial du jury
parrainé par la Région nord Pas de Calais
Le voyage de Nadia
de Carmen GARCIA et Nadia ZOUAOUI – 74 mn - Canada

Mention spéciale du jury
de casa au paradis
de Hind Meddeb - 44 mn - France

Prix du 15e anniversaire
Felix Kersten : le médecin du diable
d’Emmanuel AMARA – 52 mn – France

Prix Olivier Quemener
Reporters sans frontières
Colère de Chine
de M. STEPHANE, J. LAPIERRE et J. EIFER - 22 mn – France

Meilleure image
Les enfants de la baleine – Livre 2
de Frédéric TONOLLI – 52 mn – France

Meilleure investigation
Irak Agonie d’une nation
de Paul MOREIRA – 52 mn – France

Meilleur montage - Prix du Public
Le système Poutine
de Jean-Michel CARRE ET Jill EMERY – 90 mn – France

En direct de la vidéothèque

Il est un lieu au Figra qui aime les retardataires. Au fond, après l’expo photo. Huit écrans de télévision, un magnétoscope et sept lecteurs DVD (attention, il y en a qui ne fonctionne pas) croulent sous les demandes. Les documentaires projetés par le Figra depuis 2004 peuvent être visionnés sur place. « Les gens demandent surtout des films qui font moins de trente minutes, pour pouvoir les voir entre deux projections », explique Franco Rivelli, 29 ans, gardien du temple et accessoirement étudiant à Aix-en-Provence. « Tanggula Express, le train le plus haut du monde », remporte le prix avec dix visionnages, juste devant « Le système Poutine ».

A 18h30, une demi-heure avant la fermeture, tous les écrans sont occupés. L’attachée de presse du Cape (le Centre d’accueil de la presse étrangère, partenaire du festival), en charge de l’Asie, repassera demain pour voir « Mumbai, le rêve de la démesure ». L’évêque est arrivé trop tard pour la projection de « Monseigneur Rabban, évêque en Irak », lui aussi repassera. Pendant ce temps, Franco Rivelli parie sur les lauréats avec deux stagiaires de l’Efap. Il soupire : après la remise des prix, les spectateurs se jetteront sur les DVD gagnants. Il a dû abandonner le système de réservation car « les gens abusaient, ils ne venaient pas à l’heure ». Comme tous les temples, la vidéothèque est difficile à préserver.

Anne-Gaëlle Besse

Bamako : la "Foly" de la musique

Dans le cadre des Docs d'Afrique, le public du Figra a pu découvrir en exclusivité le film "Foly" de Sophie Comtet Kouyaté. La réalisatrice y suit un membre de sa famille, Pedro, de retour dans sa ville natale, Bamako (Mali), pour se ressourcer et retrouver les racines de sa musique. Car le film tourne autour des musiciens maliens, qui font bouger les corps au rythme de leur ville.

On suit donc Pedro à la rencontre de ses amis musiciens, marchant avec sa guitare sur le dos : "la ville que tu traverses est comme une peau tendue, frappée de toutes parts." Le film nous entraîne dans une véritable découverte d'instruments locaux que les artistes fabriquent eux-mêmes : instruments à cordes comme le n'goni (sorte de harpe) et percussions comme la calebasse, le n'tama ou le balafon (proche du xylophone). Mais les musiciens utilisent aussi des guitares électriques, à cheval entre tradition et modernité tout comme l'est la ville de Bamako.

À la fois entraînante et envoûtante, la musique porte les spectateurs au long du film, à travers les fêtes colorées et les échanges intimistes entre musiciens. Mais elle manque pourtant lors de plans de la ville, de la circulation automobile ou du travail à la carrière, qui semblent parfois superflus car sans rapport évident avec le sujet. Les paroles des Maliens et les commentaires de la réalisatrice prennent alors le relais des mélodies pour former une sorte d'incantation, proche des chants mystiques des griots africains.

Fanny Le Borgne

Voir autrement

Georges Marque-Bouaret avoue qu’il a longtemps hésité à mettre « Malika, de la nuit à la vie » dans la compétition : mais le faire figurer dans la section « autrement vu » est un joli clin d’œil pour cette histoire d’une ingénieure devenue aveugle à 24 ans et qui, treize ans plus tard, monte sa propre entreprise de coaching. Bien sûr, c’est un autre regard sur le handicap : mais c’est surtout un message universel sur les épreuves qui rendent meilleur et plus fort.

« Finir ce festival par un tel message d’espoir, ça fait vraiment du bien ». La salle Molière 1 était particulièrement émue après la projection, et la première intervention du public au micro a été un grand merci pour la réalisatrice Mireille d’Allancé et son héroïne, Malika. Et puis les questions ont fusé sur leur rencontre, leur relation, la genèse du projet. Car les deux femmes sont amies et leur complicité apparaît dans toutes ces scènes du quotidien de Malika, qui a assisté à la projection. « C’est douze ans de ma vie en cinquante-deux minutes. Je trouve que Mireille a fait un travail extraordinaire ».

« Je fais toujours des sujets sur l’espoir », explique la réalisatrice. Elle a mis un an à construire le projet dans l’atelier d’écriture du CRAAV (centre régional de ressources audiovisuelles). «Quand vous vous attaquez à une personne, c’est comme une montagne avec de la végétation autour, on ne sait pas où se trouve la porte d’entrée. La vie nous a offert un fil conducteur : pendant qu’on écrivait, elle a mis en place ce projet de devenir coach. » Les rencontres avec les conseillers de la région Nord-Pas de Calais qui l’aident à monter l’entreprise rythment le film, et permettent ainsi de montrer ses nombreux amis, son habileté à se maquiller, sa foi et ses premières séances comme coach auprès de jeunes malvoyants. Aujourd’hui, elle a beaucoup de propositions pour faire des formations. Et l’immense sourire devant ce documentaire sur elle montre qu’on peut tout surmonter, même le handicap, même le monde de l’entreprise.

Anne-Gaëlle Besse

Deux photographes aux côtés des guérilleros Karens

L'une des plus vieilles guérillas au monde se déroule le long de la frontière thaïlando-birmane. Les Karens se battent depuis plus de cinquante ans pour se défaire de la tutelle birmane et obtenir leur indépendance. Manon Ott et Grégory Cohen, témoins privilégiés de leur quotidien, nous présentent quelques uns de leurs clichés, réalisés entre 2004 et 2006. L'exposition "Zone frontière" fait partie d'un travail photographique sur la Birmanie qu'ils ont entrepris il y a cinq ans et qui sera publié le 5 mai aux éditions Autrement.


Nathalie Gros
images: Pauline Froissart

"Novartis contre l'Inde" : quelle affiche !

40 millions de malades du Sida dans le monde, dont seulement deux millions ont accès à la trithérapie. C’est pour augmenter les chances de survie des malades restants, la plupart en Afrique, que se battent les ONG comme Médecins sans frontières. Mais pour pouvoir fournir le traitement approprié à ces patients sans ressources, les associations doivent pouvoir acheter des médicaments à bas coût. En l’occurrence des génériques, dont la majorité sont produits en Inde. Ce pays a développé une industrie pharmaceutique puissante en copiant les formules chimiques des médicaments occidentaux à partir des années 1970. Mais depuis son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce, l’Inde doit respecter les brevets déposés par des grands groupes mondiaux comme le Suisse Novartis.

Marcel Schüpbach, réalisateur pour la Télévision Suisse Romande, s’est intéressé à la question de la production des médicaments à l’occasion d’un procès intenté par Novartis à l’Inde. Le problème vient du Glivec, seul traitement existant contre le cancer du sang, dont Novartis veut breveter une nouvelle version. L'Inde refuse de reconnaître ce brevet, considérant qu'il ne s'agit pas d'une nouvelle molécule. Et le pays peut ainsi continuer à produire ce médicament sous sa forme générique. La victoire de l'Inde contre Novartis, connue après la fin du tournage, constitue a priori une bonne nouvelle pour les ONG qui achètent des médicaments, car un succès de Novartis aurait créé un précédent.

Mais la question est complexe, car les brevets rapportent aux industries pharmaceutiques de l'argent qui peut être réinvesti dans la recherche et le développement de nouveaux médicaments. Sauf que les investissements consacrés aux maladies dites "négligées", concernant principalement l'Afrique, ne représentent que 2% du chiffre d'affaires de Novartis.

Le réalisateur de "Novartis contre l'Inde" s'est justement intéressé au sujet pour sa complexité, considérant qu'il n'y a "pas de bons ni de méchants", que "les requins sont des deux côtés". Ainsi l'entreprise indienne Cipla, qui fournit 85% des médicaments génériques utilisés par MSF au Malawi : elle prétend faire à la fois du business et de l'humanitaire, tout comme Novartis. Il semble surtout que "l'industrie pharmaceutique indienne fait peur à l'occident" car elle est en pleine expansion. Le film conclut que la solution pour fournir le bon traitement aux malades sans ressources réside dans un partenariat public-privé.


Marcel Schüpbach n'a qu'un regret : il n'a pas reçu l'autorisation de filmer en Inde, et la plupart des images viennent du Malawi, ce qui crée un déséquilibre dans le traitement du sujet. Paradoxalement, Novartis, d'habitude peu enclin à s'ouvrir aux journalistes, a cette fois accepté de participer à ce tournage.

Fanny Le Borgne

Paroles de spectateurs-2

Le Figra réserve souvent des rencontres inespérées. Le générique de fin du documentaire de Paul Moreira, intitulé "Irak, Agonie d'une nation", défile à peine que deux Irakiens réfugiés à Calais se manifestent. Réactions à chaud des spectateurs.

"J’ai fui l’Irak. Je suis en France depuis 2006. C’est un film qui nous aide. J’en veux beaucoup aux Américains et aux Anglais aussi. Ce qu’il faudrait en Irak, c’est une seule nationalité. Je suis sunnite et pour moi, ça ne fait aucune différence que mon voisin soit chiite ou kurde. Je voudrais retourner en Irak. C’est très dur." Aziz, 19 ans, Kirkouk, Irak.

"C’est un très bon reportage. Je sais qu’en France vous n’êtes pas habitués à voir ce genre de documentaire à la télévision, mais nous, en Finlande, on en voit tous les jours. Et c’est tant mieux. Mais j’aimerais bien qu’on insiste sur la vie de gens ordinaires. Pas seulement les militaires ou les miliciens." Veera, Finland, 32 ans.

"Ce film est très bien documenté, je m’étonne d’ailleurs que Paul Moreira ait réussi à réunir tous ces documents en un mois." Roger, Boulogne-sur-Mer, 65 ans.

"Ce reportage aide à comprendre la situation en Irak. Moi, par exemple, je ne savais pas où se trouvaient les sunnites et les chiites !" Thérèse, Le Touquet, 75 ans.

"Je ne m’attendais pas à cela. C’est pratiquement une guerre civile là-bas. J’ai l’impression qu’ils ne s’en sortiront pas." Marie-Claude, Le Touquet, 64 ans.

Nathalie Gros

Une heure avec... le président du jury, Daniel Leconte

DANIEL LECONTE
Journaliste, Grand reporter, Producteur.
Daniel Leconte est un journaliste français, né en 1949 à Oran, en Algérie. Lauréat du prix Albert Londres, il dirige «Doc en stock» et «Films en stock», sociétés de production de films documentaires et de fictions travaillant pour la télévision et le grand écran. Il anime sur le plateau de « De quoi je me mêle », le débat qui suivent les documentaires des Thema d’Arte, tous les deux mois. Il est également écivain, auteur de «Camus, si tu savais».

Les martyrs du Golfe D'Aden meurent en ce moment

"On meurt encore actuellement sous les coups dans le Golfe d’Aden". C’est sur cette phrase que le documentaire de Daniel Grandclément s’achève. Plus qu’un témoignage, du vécu. A bord d’une embarcation en plastique de dix mètres, le reporter a partagé le cauchemar des 128 Somaliens et Ethiopiens en route vers le Yémen. Au péril de sa vie.

"J’étais tétanisé. Je ne pensais qu’à filmer, raconte Daniel Grandclément, filmer ces hommes qui en tuent d’autres." A chaque traversée, c’est la même "routine" : une dizaine de passeurs entassent violemment dans une fragile embarcation plus de cent migrants et migrantes. "Qu’est-ce qui vous fait souffrir ?", demande le reporter à un homme durant la traversée. "Le manque d’oxygène, articule-t-il avec peine, mais je ne peux pas vous parler maintenant sinon ils vont me tuer." Ils sont tétanisés par la violence des passeurs. Les coups de ceinture pleuvent. La menace d’être jeté à la mer plane sans interruption. "Plus le bateau est léger, plus il va vite : les passeurs ont intérêt à jeter des hommes à l’eau", explique tristement Daniel Grandclément.

L’idée de réaliser "Les martyrs du golfe d’Aden" lui est venue alors qu’il réalisait une étude sur le trafic d’esclaves. "Sur Internet, je n’arrêtais pas de voir le nom de la ville somalienne de Bosaso." Pour avoir pratiqué la navigation, Daniel Grandclément ne supporte pas l’idée qu’on puisse jeter un être humain à l’eau. "Cela me paraît une torture inimaginable, j’ai voulu vérifier si c’était vrai". Il se rend en Somalie pour la première fois en 2006. Pendant trois semaines, il tente en vain de rencontrer un passeur qui accepte de lui faire traverser le golfe. Il rencontre néanmoins une Tunisienne mariée à un Somalien du clan Warsangeuli, proche des passeurs. C’est elle qui lui organisera son passage, en septembre 2006.

Le voilà qui attend d’embarquer sur une plage du Puntland, région autonome de la Somalie. "C’est une scène un peu comme dans Tintin, une plage, deux bateaux et des gens alignés en carré, classés par sexe. Mécaniquement, les passeurs les hissent dans l’embarcation et d’un coup de pied, les projettent en avant. Les gens sont imbriqués et ça dure pendant trois jours." Pour la première fois, quelqu’un filme cet enfer. Les migrants n’ont jamais pris le bateau, ils se vomissent les uns sur les autres, défèquent dans une petite boîte qui se renverse. Les disputes sont fréquentes et interrompues par le cuir des passeurs. Le capitaine n’a pas de boussole. Seules les étoiles guident l’embarcation vers la côte yéménite. "C’est moi avec mon GPS qui ai dû leur indiquer la route", hallucine le reporter.

À l’avant du bateau, Daniel Grandclément éprouve de plus en plus de dégoût. Il parvient au bout du deuxième jour à filmer le rire diabolique d’un passeur qui s’amuse de la souffrance des migrants. Le râle obsédant d’un homme qui agonise ponctue la traversée. Des images insoutenables. Comme les autres passagers, Daniel est jeté à l’eau. "Par miracle", tous parviendront à rejoindre la côte. "Quand la mer est mauvaise ou qu’ils aperçoivent les garde-côte yéménites, les passeurs abandonnent les migrants à plusieurs centaines de mètres du bord. Comme ils ne savent pas nager, ils se noient."

L’ONU a dénombré en 2007, plus de 1700 morts lors de ces traversées. On sait que 30 à 40.000 personnes tentent chaque année de rejoindre le Yémen. "Qu’est-ce qu’on peut faire ?", s’interroge le reporter. "Sécuriser leur transport, agir auprès de la Communauté européenne qui donne de l’argent au Puntland…" Pas grand chose en réalité. Sinon "informer pour dire que ça existe vraiment en ce moment".

Nathalie Gros

Dans la cour des grands

Deux toutes jeunes femmes ont été mises à l'honneur cette semaine au Figra: Hélène Lam Trong et Elise Menand. Toutes deux lauréates du prix Rotary du jeune reporter -respectivement en 2006 et 2007-, elles ont présenté au public leur première réalisation: deux petites pépites journalistiques.

S'attaquant à des sujets poignants, Hélène Lam Trong et Elise Menand ont mis en lumière des réalités peu connues. La situation tragique des "fiancées volées", d'abord. Des jeunes femmes kirghizes enlevées pour être mariées de force à des hommes inconnus. Ce documentaire d'Elise Menand et Catherine Berthillier (diffusé sur Envoyé spécial le 29 novembre) a remué les spectateurs, choqués notamment par une scène d'enlèvement en pleine rue.

Avec "Bui Doi, poussière de vie", Hélène Lam Trong s'est, elle, intéressé aux métis noirs du Vietnam. Leurs pères étaient des GI's américains. Eux sont considérés comme les rebuts de la société et appelés Bui Doï, qui signifie "poussière de vie", c'est-à-dire presque rien.



Victimes de discriminations, souvent abandonnés par leurs familles, beaucoup de ces métis sont tombés dans la drogue ou la prostitution.
En quête de reconnaissance et d'identité, certains se raccrochent à un dernier espoir: les Etats-unis. Dans les années 1990, un vaste programme avait en effet permis à 30 000 métis et leurs familles de rejoindre le pays de leurs pères. Mais depuis le 11 septembre 2001, les Etats-unis ont restreint l'accès au pays et la sélection est devenue beaucoup plus dure. Pourtant, comme Lan, ils veulent encore y croire.



Ces deux documentaires ne sont bien sûr pas parfaits. On aurait voulu en savoir plus par exemple sur les maîtresses de ces GIs noirs et entendre leur parole de mères.
Mais chacun des reportages sonne juste car il a su toucher le public et lui ouvrir les yeux. La mission journalistique est atteinte.

Pauline Froissart

28/03/2008

Au cœur du «Système Poutine»

Jean-Michel Carré et Jill Emery ont cherché à comprendre comment un simple apparatchik du KGB avait pu devenir le nouveau tsar de la Russie. Pour cela ils ont interviewé des opposants à Poutine, mais aussi des anciens proches du pouvoir. Une démarche parfois difficile tant l’Etat russe est verrouillé.


Les réalisateurs ont patiemment retracé l’ascension de Vladimir Poutine, qui désirait entrer au KGB dès l’âge de 16 ans. Au fil des nominations, il a su rester dans l’ombre du pouvoir, mais toujours « au bon endroit au bon moment ».
Maire adjoint de Saint-Pétersbourg, il est chargé des privatisations. Puis Premier ministre en août 1999, il profite d’une série d’attentats terroristes (finalement attribués au KGB) pour lancer la deuxième guerre de Tchétchénie. Poutine accède ensuite au Kremlin en échange de l’immunité pour Boris Eltsine, et obtient la confiance des oligarques en réussissant l’exploit de se faire passer à la fois pour démocrate et autoritaire, nationaliste et pro-occidental.

Sous couvert de lutte contre la corruption, Poutine a entrepris de détruire la presse indépendante russe, tout comme il a fait envoyer de nombreux oligarques en prison pour fraude.
Les deux arguments de la Russie sont devenus les armes – elle est le deuxième fournisseur mondial – et l’énergie. Vladimir Poutine a compris que le contrôle de l’énergie permet d’influer sur le cours de la politique mondiale. Il a ainsi imposé un Premier ministre à l’Ukraine en échange d’un approvisionnement en gaz, et l’entreprise d’Etat Gazprom est en passe de devenir une sorte de gouvernement mondial.

L’arrivée à la présidence de Medvedev ne changera rien au « système Poutine », d’après Jean-Michel Carré et Jill Emery. Car la logique « liberticide » reste la même.


Selon les réalisateurs, Poutine considère que le démantèlement de l’URSS a été « la pire catastrophe géopolitique du XXe siècle ». Son but semble alors être de « reconstruire la grande Russie ».
Pour l’homme fort de la Russie, la démocratie doit être dirigée. Il conserve ainsi la mentalité héritée du KGB, que l’on peut résumer en un mot : « contrôle ». Tout ce qui n’est pas contrôlé représente alors un danger potentiel. « Le système Poutine » résume bien la paranoïa du régime : « Un système policier a besoin de deux ennemis : un à l’intérieur, les Tchétchènes, et un à l’extérieur, l’hégémonisme américain

Fanny Le Borgne

Images Nathalie Gros

Le grand oral des jeunes pousses du Figra

Petit réalisateur deviendra grand. C'est le pari de la sélection "Coup de pouce" du Figra. Un jury de professionnels a sélectionné cinq projets de documentaires parmi 45 candidatures. À la clé pour ces jeunes auteurs : une aide à la réalisation d'une valeur de près de 10.000 euros. Vendredi après-midi, les cinq lauréats sont passés à la moulinette des questions du jury. Un "grand oral" d'autant plus stressant que dans la salle, quelques producteurs attendent d'être séduits par un film.

Christophe Leroy ouvre la séance. Avec les deux autres membres de l'association "La troisième porte à gauche", il souhaite réaliser un documentaire sur les habitants de "Fan Nabara". Depuis que leur village est devenu une réserve de la biosphère, ces Sénégalais se retrouvent confrontés aux contradictions du développement durable. Entre lutte pour la survie et protection de la nature.
Le jury est séduit, mais il reproche aux trois jeunes réalisateurs leur absence de positionnement. "Ce qui est neutre n'a pas de goût", soutient Christian Le Peutrec, producteur de Mano a Mano. "Qu'est-ce qui fait briller l'œil qui regarde dans la caméra ?", ajoute-il, précisant que cet œil "n'illustre pas mais anime les séquences".
À l'issue de leur passage, Christophe Leroy et Adrien Camus regrettent de s'être "compromis sur le dossier". "On a voulu faire une présentation trop carrée, trop universitaire. On a perdu lme de notre film", reconnaît Adrien. Visiblement, le jury a su soulever les bonnes questions.

Aurélie Berthier leur succède. À 42 ans, elle rêve de tourner "L'Ivresse du silence", un documentaire sur la dépendance alcoolique. Pour une fois, ce thème est abordé positivement, à travers la parole de personnes qui ont réussi à proscrire l'alcool de leur vie. "Ce sujet serait plus facile à traiter en radio, plaisante Jean-Luc Liout de l'université de Provence, j'ai peur que ça ne soit un film bavard." La réalisatrice s'était préparée à cette question. "J'ai déjà tourné des images de témoignage, et cela fonctionne très bien."
Sûre d'elle, Aurélie dit avoir passé un bon moment avec le jury : "Je ne savais pas à quoi m'attendre, j'ai essayé de raconter mon film comme je peux, je suis restée moi-même."

Rémi Borel prend sa place. L'ancien journaliste de presse écrite désire recueillir le témoignage des habitants de Rosans. Ce village de la région PACA se distingue par la présence d'Harkis et d'enfants de Harkis au sein de la population aujourd'hui métissée. Une réalité particulière que Rémi souhaite évoquer à travers la description, par les Rosanais eux-mêmes, de saveurs et d'odeurs chargées d'histoire. Christian Le Peutrec lui pose alors la question inévitable : "Pourquoi passer au documentaire alors que vous êtes un journaliste de presse écrite ?" Du tac au tac, Rémi explique que c'est "moins les choses qui se sont passées que la manière dont elles ont été vécues" qui l'intéresse.
"Je me suis senti comme à l'oral du bac de français, s'amuse le jeune réalisateur à la sortie, j'étais intimidé au début puis je me suis mis dedans et la pression est partie." L'épreuve s'est "plutôt bien passée" selon lui.

C'est au tour de Dorine Brun qui déploie une carte d'Italie et un plan de Palerme face au jury. Son projet, "Via Via", consiste à questionner "cette petite pièce" extorquée par les parcheggiatori de Palerme aux automobilistes. Ces gardiens de parking occupent les six places du centre de la ville. Ils racontent, au niveau local, "tout un système global", celui de la mafia et de son impôt illégal, le pizzo. Emmanuelle Demolder, chargée des productions CRRAV, s'inquiète : "Pourquoi suivre quatre ou cinq parcheggiatori et pas un seul ?". "Parce que j'ai peur de ne miser que sur un !", réplique la jeune trentenaire. Marco Nassivera d'Arte la met en garde. Il faudra obtenir les autorisations de filmer et être capable de décoder les propos des "finauds" parcheggiatori.
Dorine se dit un peu frustrée de ne pas avoir eu plus de temps avec le jury. "C'est un exercice essentiel, explique-t-elle, il permet de rencontrer les producteurs et de se confronter aux réalités du marché audiovisuel."

Rémy Jantin ferme la marche avec son projet "L'Or vert ou le khat à Madagascar". Avec timidité, il explique qu'il souhaite tourner un documentaire sur une plante hallucinogène originaire de la corne de l'Afrique, le khat. Les Malgaches en consomment ouvertement et de plus en plus. Le jury ne saisit pas vraiment où Rémy veut en venir. Réponse de l'intéressé : "Je souhaite simplement aller contre les a priori sur les drogues."
"Je me suis mal exprimé, confesse-t-il, j'ai été surpris par les questions du jury. Il m'aurait fallu plus de temps, plus d'intimité." Inspiré par cette expérience qu'il juge cependant "très positive", Rémy s'apprête à se remettre au travail.

Annonce du lauréat Coup de pouce 2008 samedi soir.

Nathalie Gros

Portraits brisés

"Dans la dernière scène du film, j'ai vu une femme sur un banc. Je voudrais savoir: pourquoi elle ne travaille pas?"
Cette première question du public posée au producteur de "Femmes sans domicile" montre que les préjugés à l'égard des sans domicile fixe restent bien ancrés.
Et pourtant, pendant 52 minutes, le réalisateur Eric Guéret s'était appliqué à dévoiler toute la complexité de cette question, montrant que la situation de ces personnes ne se réduit pas à la seule absence d'un logement ou d'un emploi fixe. Accompagnant le Samu social lors de ses rondes de nuit, le journaliste a patiemment tissé des liens avec des femmes sans abri. Il a découvert des êtres fragiles, traumatisés, et souvent victimes de troubles psychiques. Les suivant dans leurs vies quotidiennes, leurs rencontres avec l'assistante sociale et leurs galères, il en a tiré des portraits drôles et émouvants, comme celui de Marie-Thérèse qui part chaque matin à la recherche de "ses clients".


"Femmes sans domicile" est un reportage poignant traité avec beaucoup d'humanité par un réalisateur qui dénonce la "société barbare". Ce qui a été pour lui un "voyage dans l'horreur" est pour le spectateur une gifle en pleine figure. Salutaire.

Pauline Froissart

Gros succès pour Che Guevara

40 ans après sa mort, le Che continue à drainer les foules. Pour la projection du documentaire consacré à cette icône de la révolution cubaine, "Che Guevara, le corps et la légende", la salle était archi-comble. Parmi le public, des gens de tous âges mais surtout des jeunes qui ont suivi avec attention le documentaire consacré à l'existence "post-mortem" du leader. Comment le corps du Che a t-il disparu? Dans quelles circonstances fut-il retrouvé? Autant de questions sur lesquelles se sont penché les deux réalisateurs italiens.
Pour ceux qui ont raté les réponses, le documentaire est visionnable jusqu'à dimanche à la vidéothèque.

Pauline Froissart

Immigration et sentiments

Annie Saint Pierre a choisi sa propre histoire d'amour pour raconter dans "Migration amoureuse" les difficultés des couples qui n'ont pas la même nationalité et doivent affronter la bureaucratie pour être ensemble. Pendant presque deux ans, elle suit son petit ami belge, qui essaie d'obtenir le statut de résident permanent au Québec pour pouvoir enfin vivre avec elle à plein temps. Au final, un documentaire riche en émotions.

Cette jeune femme raconte pourquoi mettre en scène sa vie personnelle lui a semblé le meilleur moyen de raconter la contradiction entre les sentiments et la dureté de la bureaucratie.



Anne-Gaëlle Besse

Expliquer le Kosovo

Baudoin Koenig a repris le problème depuis le début, ou presque: la reconstruction du pont sur l'Ibar, qui relie Serbes et Albanais à Mitrovica, une ville au nord du Kosovo plutôt peuplée par des Serbes. Détruit pendant la guerre de 1999, ce pont flambant neuf devait symboliser la réconciliation. Il est surtout gardé par l'Onu, et le seul bus qui l'emprunte reçoit fréquemment des jets de pierre.

Tourné avant l'indépendance, "Kossovo, le trou noir de l'Europe", mêle interviews officielles et témoignages des habitants pour montrer les désirs irréconciliables des Serbes et des Albanais du Kosovo: les premiers veulent rester rattachés à Belgrade, les seconds (95% de la population) veulent l'indépendance, qu'ils ont autoproclamée le 17 février 2008.




Anne-Gaëlle Besse

Regards jeunes sur l'image

Jeudi était la journée des scolaires au festival. Près de mille élèves de la région s’étaient déplacés, quittant leur établissement le temps d’une journée.
Dans le hall d’entrée, ça se bousculait, et près de vingt minutes avant le début de la projection de « Dessine-moi un mouton », la salle Molière était déjà à moitié pleine. Une vision qui a réjoui Florence Fernex, une des deux réalisatrices de ce documentaire. « On n’interroge pas assez les jeunes générations » estime-t-elle.
Son reportage leur donne justement la parole. « Je suis partie d’une anecdote entendue sur la Suisse : des enfants s’étaient brutalisés dans une cour de récréation sur la base d’une affiche qu’ils avaient vue. » Cette affiche représente des moutons blancs, qui chassent un mouton noir de leur territoire. Largement diffusée, elle a été créée à l’initiative de l’UDC, un parti nationaliste qui voulait ainsi promouvoir une de ses idées : l’expulsion des criminels étrangers hors de suisse.

Mouton noir, mouton blanc
L’image, d’un abord ludique, a touché immédiatement les enfants, comme le montre le reportage. Beaucoup d’entre eux, notamment ceux d’origine étrangère se sont sentis visés, voire agressés. « Pourquoi ils m’insultent ? » se demande par exemple Aissata. « J’ai un peu peur que mon père doive retourner dans son pays » confie un autre garçon.
En se glissant dans les salles d’écoles et les cours de récréation, Florence Fernex montre avec talent comment ce dessin qui semble enfantin a soulevé des vagues d’émotion chez les plus jeunes. Un éclairage qui a plu aux élèves du lycée Kernanec, de Marcq-en-Baroeul : « Je ne pensais pas que les enfants pouvaient être touchés à ce point. C’est choquant. » réagit Juliette, qui avoue avoir appris grâce au film la signification de l’expression « mouton noir ». Anaïs a quant à elle jugé le documentaire « pas mal », tandis que sa copine Céline, qui ne connaissait pas cette affaire de moutons a apprécié les explications de la reporter: « ça permet d’éclaircir un peu cette histoire d’affiche ». Mais pas le temps de traîner, les lycéens avaient encore de nombreux films à visionner dans la journée. Dans le top 3 des scolaires : « Urgence Darfour », « le Sac de Nankin » et « le Système Poutine ».

Pauline Froissart

« La société est-elle capable d’écouter ceux qui l’alertent ? »

Dans le cadre des Docs en région, « Dossier Cassandre : les lanceurs d’alerte » fait écho au film en compétition « Du côté des anges ». Tous deux focalisent leur attention sur des citoyens qui prennent le risque de s’opposer à « plus forts qu’eux » pour faire triompher l’intérêt collectif face à un abus ou un danger majeur.

« Dossier Cassandre », réalisé par Nicolas Deprost, s’intéresse plus particulièrement à ceux, en France, dont le combat a été peu médiatisé et qui ont véritablement « vécu une aventure humaine ». Sans vouloir déterminer si leur lutte est justifiée ou non, le documentariste s’est attaché à expliquer la démarche de certains citoyens en s’efforçant de montrer qu’il ne s’agit pas de « simples illuminés ».

« Le sujet du film s’est imposé de lui-même à partir du dossier de l’amiante. » En effet, la plupart des scandales récents ont été révélés grâce à des individus qui osent « dire non ». C’est le cas de la présidente de l’association CLAIRE (Comité de lutte pour l’assainissement de l’air et de l’environnement), qui a alerté l’opinion à propos de la présence de dioxines autour de l’usine d’incinération d’Halluin (59). Le film nous présente également Dominique Stoppa-Lyonnet, scientifique au laboratoire Curie à Paris, qui s’est opposée au brevetage de tests censés déterminer la susceptibilité au cancer du sein.

La voix des lanceurs d’alerte est souvent couverte par celle des lobbyistes, qui disposent de meilleurs relais auprès des dirigeants nationaux et européens. Le problème souligné par ce documentaire réside dans le poids tout relatif des questions de santé publique face à celui des impératifs économiques.

Il serait donc nécessaire de soutenir ces lanceurs d’alerte, comme c’est le cas en Angleterre où une agence gouvernementale leur offre une protection juridique. La création d’une telle structure en France n’est pas à l’ordre du jour, peut-être parce que la dénonciation y est associée au souvenir de l’occupation allemande. Nicolas Sarkozy a même exprimé sa volonté d’interdire les enquêtes fiscales basées sur des dénonciations anonymes, qui constituent pourtant la majorité des redressements effectués en France.

Difficile alors de prendre la responsabilité de se dresser seul face à une injustice. Il s’agit de prendre conscience de l’importance de ces démarches citoyennes, d’autant que le réalisateur Nicolas Deprost a prévenu les spectateurs à la fin de la projection : « le combat de ces gens, ça peut tomber dans votre jardin demain ! »

Fanny Le Borgne

27/03/2008

Travail dans l'ombre: une caméra au coeur du conflit ivoirien

2002. Pour son premier voyage en Afrique, Nigel Walker ne choisit pas la facilité: il se rend au coeur de la Côte d'Ivoire. Le pays est alors en pleine guerre civile. Au gouvernement de Bagbo s'opposent les rebelles du nord, tandis que Charles Blé Goudé, à la tête d'un mouvement paramilitaire soutenu par le gouvernement, manipule la jeunesse. Le jeune caméraman anglais va passer six mois dans le pays et produire "Travail dans l'ombre", un documentaire qui apporte des éclaircissements à ce conflit complexe.



Nigel Walker, pourquoi avez-vous choisi de tourner ce sujet?
Ce qui m'a attiré en Côte d'Ivoire, c'est le manque d'informations à propos de ce pays. Les informations que je trouvais parlaient d'un conflit religieux entre musulmans et chrétiens. Mes recherches m'ont montré que c'était inexact et j'ai trouvé ça irresponsable et dangereux de la part des journalistes de transmettre ces informations. J'ai travaillé en Israël, en Palestine et en Afghanistan, je sais comme la manipulation des images peut être dangereuse. C'est pour ça que j'ai voulu partir en Côte d'Ivoire, pour montrer comment et pourquoi les choses se passent.

Comment s'est passé le tournage?
Le tournage était très difficile. Il y avait une tension très négative, qui m'obligeait à faire des scènes courtes. J'étais menacé quasiment chaque jour car les gens pensaient que j'étais français. Du coup, je mentionnais en permanence que j'étais Américain et je portais bien en évidence un bandana avec le drapeau américain.

A votre avis qui pourrait sauver la situation dans ce pays?
C'est difficile à dire. Personne n'a les mains propres dans ce conflit. Chaque camp a du sang sur les mains. Quant à l'Onu, son action est très restreinte par le gouvernement. Les membres de l'Onu sont très frustrés car ils essaient vraiment d'aider le pays.

Propos recueillis par Pauline Froissart

Elle voulait faire la route d'Alexandra David-Neel

C'est comme si Alexandra David-Neel, la célèbre exploratrice et première européenne à être allée à Lhassa, la capitale du Tibet, était partie avec une caméra. Et était tombée, en 1987, sur des émeutes de Tibétains au lieu des moines paisibles qu'elle avait connu dans les livres. Depuis, Marie Louville est grand reporter à France 2 et parle souvent du Tibet dans "Envoyé Spécial". Un de ses reportages, "Tanggula Express, un train sur le toit du monde", diffusé en 2007, est en projeté dans la section "Autrement vu".

Une fois de plus, Marie Louville montre le Tibet, ses grands espaces et son peuple en voie de sinisation malgré lui. Cinq mois avant les JO de Pékin, les jeunes tibétains se révoltent et l'image de la répression brutale passe sur toutes les télévisions. Pour la grand reporter, cela devait arriver - et c'est peut-être le signe que le dalaï-lama a perdu la bataille de la non-violence.


« La guerre de la banquise » aura-t-elle lieu ?

Le plus court des documentaires en compétition cette année est celui d’Alexandre Bouchet, traitant des spéculations internationales autour de l’Arctique canadien. Ce territoire hostile dispose de très nombreuses ressources qui aiguisent les appétits.

Le réchauffement climatique menace l’écosystème fragile de la banquise, mais il pourrait également permettre une plus importante exploitation de ses richesses. Ce sur quoi certains investisseurs misent : un businessman américain a ainsi acheté le petit port de Churchill, le seul de la région. Ouvert uniquement deux mois en été, il pourrait à terme accueillir des cargos tout au long de l’année. La fonte des glaciers pourrait également permettre d’ouvrir une nouvelle voie de passage vers l’Asie.

Si de précieux gisements promettent d’être découverts dans le grand Nord canadien, une seule mine de diamants est pour l’instant exploitée. Mais elle a déjà permis un spectaculaire développement économique de la région, car le Canada oblige les exploitants à faire polir sur place une partie des diamants découverts.

« La guerre de la banquise » nous propose avant tout de suivre des rangers canadiens en mission à travers la banquise. Ils doivent planter le drapeau national sur une des îles dont le Canada est propriétaire, afin de dissuader d’autres pays de se l’approprier. Leur traversée des fjords et glaciers représente un véritable défi logistique. Mais le Canada est près à dépenser des millions de dollars pour imposer son hégémonie sur ce territoire prometteur.

Abordant sans les creuser de nombreux sujets passionnants, ce film reste en surface de la problématique qu’il aborde. Mais les superbes images des glaciers, de loups et d’ours blancs lui confèrent un intérêt indéniable.

Fanny Le Borgne

"M. Tonolli, avez-vous déjà chassé le phoque ?"

Le soleil se couche sur la presqu'île d'Ouelen dans le cercle arctique. Les lumières se rallument sur l'auditorium du Palais de l'Europe. Les enfants de l'école primaire Jean de la Fontaine (Le Touquet) viennent d'en prendre plein la vue. Le documentaire de Frédéric Tonolli, "Les Enfants de la baleine", les fait réagir. Tour à tour, ils s'adressent au réalisateur.

"Monsieur, comment êtes-vous devenu réalisateur ?"
"A la Gainsbourg, par hasard et pas rasé. Non, sérieusement, au début j'étais caméraman sur des tournages. Puis j'ai eu envie de réaliser mes propres films. Cela n'a pas été facile mais rien n'est impossible. Il faut provoquer la chance.

"Comment vous êtes-vous protégé du froid ?"
"En m'habillant chaudement ! Je me suis dit que si les Tchouktches arrivaient à supporter les -35°, moi aussi je pourrais le faire."

"Quels ont été vos meilleurs moments pendant le tournage ?"
"Les dîners le soir avec des amis, quand on est fatigués, qu'on mange, qu'on boit et qu'on va se coucher."

"Combien de temps avez-vous mis pour réaliser ce film ?"
"C'est toute une petite vie. Je ne compte plus le temps. C'est le quatrième film que je fais là-bas. La première fois, c'était en 1994. En tout, pour les "Enfants de la baleine" 1 et 2, j'ai passé quatorze mois avec les Tchouktches, et quatre mois à monter."

"Avez-vous déjà chassé le phoque ?"
"J'ai tenté de chasser la baleine, par respect pour les Tchouktches et parce que j'en mange. Je me suis complètement loupé. Sinon, je n'ai jamais chassé le phoque. Je n'aime que le foie de cet animal, parce que cela ressemble à du foie de veau… En fermant un peu les yeux !"

"Pourquoi vous êtes-vous intéressé à cette région ?"
"C'est un rêve de gosse dont je ne suis jamais revenu. Petit, je lisais Jack London et je rêvais d'être trappeur. Le déclic est arrivé quand un copain m'a invité à faire un film là-bas en 1994."

"Est-ce que vous allez faire un autre film ?"
"Je retourne sur la presqu'île d'Ouelen cet été pour Thalassa. J'ai aussi le projet de reprendre tous mes rushes afin de faire un film retraçant la vie des Tchouktches depuis 1994."

"Pourquoi ils s'appellent les "Tchoutch" ?"
"Les Tchouktches ! Ne t'inquiète pas, moi je les appelle les Atchoum quand ils m'énervent. Je ne sais pas. Entre eux, ils s'appellent les "Livaret", ce qui signifie les "vrais hommes".

Nathalie Gros

Silence dans la vallée, hommage aux derniers ouvriers

Silence dans la vallée, l’usine vient de fermer. Nous sommes en octobre 2006 et la petite ville de Nouzonville dans les Ardennes vient de perdre sa dernière grande forge d’estampage.

Un événement qui n’en est pas un dans cette partie de la France habituée aux faillites, fermetures d’usines et délocalisations d’industries jadis puissantes. Et pourtant, Marcel Trillat en fait le sujet de son documentaire. Un reportage engagé pour dénoncer la mort du capitalisme « social » et le passage à un capitalisme plus violent, sauvage, tourné vers le profit. « Ce documentaire est une allégorie de ce qui va se passer dans la France industrielle d’aujourd’hui, explique Marcel Trillat: un pays sans industrie, qui ne produit plus de richesses».

« Ils nous ont tout pris… même la dignité »

Durant un an, le réalisateur s’est immergé aux côtés de ceux qui ont fait vivre la forge, les accompagnant dans une chute douloureuse. Il peint les visages accablés des ouvriers qui ont perdu leur emploi, leurs repères et aussi une grande partie de leur confiance en soi : « Ils nous ont tout pris… même la dignité, témoigne l’un d’entre eux devant l’usine désaffectée, on est dans le fond du trou. Va falloir relever la tête…»
Mais le réalisateur se penche aussi du côté des patrons, qui n’ont pu éviter le rachat et la brutale liquidation de leur entreprise, jusqu’alors familiale. Le reportage est ainsi le croquis d’une forme de patronat social en cours de disparition.
Avec un travail patient et l’aide de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, sociologues connus pour leurs travaux sur la bourgeoisie, Marcel Trillat a su s’introduire parmi ceux qui tenaient l’aciérie et recueilli leurs témoignages. Où l’on se rend compte que le désespoir est dans les deux camps. Et qu’une ère s’achève pour l’industrie française.

Pauline Froissart

"Nord-Sud.com" : "Cendrillon cherche le prince charmant, de préférence blanc"

Yaoundé, capitale du Cameroun, comptait 4 cybercafés à l’arrivée d’internet, en 1997. Aujourd’hui, on en recense 450, fréquentés majoritairement par des femmes. François Ducat est allé à la rencontre de celles, nombreuses, qui surfent pour rencontrer un potentiel mari occidental. Son documentaire "Nord-Sud.com", diffusé dans la catégorie "Autrement vu", retrace l’histoire de ces femmes africaines et de leurs hommes européens, afin de montrer que derrière les réalités évoquées au journal télévisé, "il y a des êtres humains, des vies".

À travers une prise de vue sensible, le réalisateur a voulu tracer de véritables portraits de ses personnages, afin de "travailler sur la temporalité", d’aller plus loin que la surface visible de la réalité. La logique de ces femmes en quête de mari s’est vite imposée à lui : "l’Afrique surfe parce que l’Afrique souffre". Mais il s’agissait également de comprendre l’autre versant de ces mariages, "qui sont ces blancs, à quoi ils rêvent".

Le destin de ces femmes parties trouver le bonheur au bout du monde est variable : si Mireille semble avoir rencontré l’amour, sa sœur Sylvie regrette d’avoir laissé ses enfants au Cameroun. D’autres sont tombées dans de véritables "mariages-pièges" : une fois arrivées en Europe, leur mari idéal s’est révélé être un bourreau, voire un proxénète.

François Ducat a mis deux ans et demi pour parvenir à financer son film, et a pu le réaliser au prix d'un petit mensonge : afin d’obtenir l’autorisation de filmer auprès des autorités, il a prétendu que son film traiterait de l’explosion technologique au Cameroun. Et comme le dit un animateur radio que l'on entend au début du film, "internet a envoûté tout le monde".

Fanny Le Borgne

"L'indifférence est un des plus grands crimes"

Julie Morales n'a "pas dit son dernier mot". Cette jeune femme brune de vingt-sept ans est aussi volontaire que sa silhouette le laisse imaginer. Une grande brune élancée qui va jusqu'au bout de ses rêves, habitée par la "haine pour le système" où l'homme n'a pas sa place, où les pauvres sont marginalisés et où les injustices sont pléthores.

Voilà pour le message. Il lui manquait une voix. Ce sera celle des sinistrés de Tapachula, dans le Chiapas, au Mexique. "Ils m'ont raconté leur histoire, et je me suis dit que j'étais là pour en témoigner", expose Julie au public lycéen après la projection de son documentaire "Tierra Bajo Agua".

Julie Morales s'est "saignée" pour ce reportage. La Française arrive au Districto federal (la capitale mexicaine) en septembre 2005. Un mois plus tard, l'ouragan Stan fait déborder le fleuve Coátan, emportant avec lui les fragiles "cabanes" accrochées à ses rives. À Tapachula, ils sont des milliers accueillis "provisoirement" dans le centre d'hébergement. Tous attendent d'être relogés dans de nouvelles maisons que le gouvernement s'est engagé à construire. Alors que les journalistes locaux ne sont pas autorisés à pénétrer dans ce centre, Julie y passe un mois. Trente jours au cours desquels la jeune femme va gagner la confiance des sinistrés, et se lier d'amitié avec leur défenseur, Roméo.



Résultat, trente heures de rushes et une certitude, le désastre n'est pas seulement dû à l'ouragan, mais surtout aux mesures de prévention qui n'ont pas été mises en place. "Ces dépressions tropicales reviennent tous les ans et les morts pourraient être évités", s'indigne Julie. Celle qui se dit "versée sur les valeurs humanistes" ne supporte pas l'idée que le gouvernement mexicain abandonne ces familles pauvres, qui n'ont d'autre choix que de vivre dans des zones dangereuses. Elle interroge alors les lycéens de l'établissement Kernanec : "Est-ce que c'est une élimination voulue ?"

Et Julie fait mouche. Les lycéens sont touchés par son travail. "Le gouvernement mexicain ferme les yeux alors qu'il devrait plutôt encourager la lutte pour la reconstruction, commente Cyril, 16 ans, c'est son peuple quand même." Son copain Antoine remarque que la reporter a fait preuve de "beaucoup de courage" et lui a donné envie de "penser davantage aux autres".

Avant de se lancer dans des études d'espagnol, Julie rêvait de faire du journalisme ou du cinéma. Trop cher. Son premier documentaire la dispense totalement de cette formation. Julie Morales vient de prouver qu'elle possède toutes les qualités d'un grand reporter : l'écoute, la rigueur et surtout, l'envie de se battre. Le mieux, c'est que c'est contagieux. Son petit ami, Michel Akrich, qui a mis en musique son documentaire, vient de démarrer le tournage de son premier reportage.

Nathalie Gros

"Ils ont été impressionnés
par notre ténacité"

Hind Meddeb, 29 ans, a réussi à faire parler devant la caméra les habitants du bidonville Thomas, à Casablanca, d'où viennent les 11 kamikazes qui ont commis les attentats du 16 mai 2003. Elle raconte comment elle a pu obtenir leurs explications sur cet événement pour son documentaire "De Casa au paradis".


Quel a été le point de départ de votre enquête?
Ma mère est marocaine, et je vais au Maroc tous les étés depuis mon enfance. J'ai été choquée par ces attentats et j'ai ressenti le besoin de comprendre. Dans une fête, j'ai rencontré Abdallah Tourabi, un étudiant en sciences politiques qui a fait une enquête sur ces attentats. Elle était écrite comme un roman policier: il avait pu mettre beaucoup de détails, car il venait d'un bidonville. J'ai eu envie d'en faire un film. Il nous a mis en contact avec Abdelkrim, un journaliste qui a grandi avec les kamikazes et qui apparaît dans le film. Nous sommes donc partis là-bas en août 2006.

Comment avez-vous été accueillis?
La grande difficulté a été de faire parler les gens devant la caméra. On voulait une parole libérée, pas de caméra cachée, ni d'interviews floutées. Alors on est repartis au bout d'un mois avec beaucoup de témoignages en off, mais peu d'images. On est donc revenu l'année suivante et ils ont été impressionnés par notre ténacité. Du coup, certains ont accepté de parler devant la caméra, comme Jawad, qui nous avait déjà raconté son histoire en off. Il est allé clandestinement en Europe avant de se faire expulser et de se tourner vers l'islam radical, comme deux des kamikazes. Mais il a refusé que sa sœur soit filmée.

Pourquoi refusent-ils d'être filmés?
Dans le bidonville, il y a beaucoup d'indics et de caïds. Se faire suivre par une caméra, c'est comme se taper l'affiche, c'est mal vu. Et puis ils en avaient marre d'être stigmatisés à cause des attentats. Après les attentats, certaines mères des kamikazes ont perdu leur travail. Ils avaient peur des arrestations, qui ont été très nombreuses. Notre force a été de venir trois ans après, alors que les choses étaient un peu retombées. Nous étions aussi une équipe très soudée, et ils l'ont senti. Nous avions 25 ans de moyenne d'âge et grâce à ça, nous avons pu nouer des liens avec les jeunes.

Propos recueillis par Anne-Gaëlle Besse.

Paroles de spectateurs

Réactions à la sortie de la diffusion en avant-première mondiale du documentaire "Pékin 2008: double jeux" D'Anthony Dufour.

"J'ai apprécié que ce documentaire soit présenté sur un ton très apolitique. Un ton qui permet, en toute objectivité, de rendre compte des faits qui se passent en Chine." Marie-Sabine, 53 ans, Cambrai.

"Passionnant. Et frustrant aussi. Il y a tout ce qui est ni vu, ni dit. Je ne suis jamais allé à Pékin mais je pense qu'Anthony Dufour ne dit que ce qu'il peut dire." Achille, 80 ans, Boulogne-sur-Mer.

"Les réactions du public sont très intéressantes, notamment celle qui pose la question de faire passer le boycott économique avant le boycott sportif." Anne, 53 ans, Le Touquet.

"Les jeux sont mal barrés! On ne pensait pas que la répression sévissait à ce point-là en Chine. Tout le monde est impuissant, même les hommes politiques." Delphine et Thierry, 39 et 42 ans, Le Touquet.

"Un documentaire frustrant et révoltant. C'est toujours plus intéressant de voir quelqu'un empêché de filmer que de le lire. L'image est la plus forte." Michèle, 52 ans, Bruxelles.

"Il faudra peut-être taper du poing sur la table et aller là-bas mettre le bazar place Tian'anmen. Je suis encore persuadé qu'on ne voit pas tout." Jean-Jacques, 54 ans, Berck-sur-Mer.

Nathalie Gros

Au Figra aussi, la Chine fait la une

Le pays organisateur des JO était à l’honneur pour la soirée d’ouverture. A l’honneur, c’est une façon de parler : le réalisateur Anthony Dufour s’est plutôt moqué des absurdités du système chinois. Un système prétendument plus ouvert depuis l’attribution des JO, qui a fait changer la loi : on peut désormais interviewer n’importe qui sur n’importe quel sujet. Enfin… en théorie, explique le reporter : « On n’obtient jamais de réponses à nos questions, ou alors des réponses absurdes. On voulait montrer ces situations tragi-comiques. »




Exemple sur la place Tienanmen où un responsable de la police fait semblant de ne pas entendre les journalistes qui lui posent plusieurs fois la question qui fâche : peut-on parler des droits de l’homme ? Silence crispé chez l’intéressé, qui préfère esquiver en rappelant le discours officiel : « soyez les bienvenus en Chine ».

Des scènes dans ce genre, Anthony Dufour en a à revendre et on sent qu’il s’est amusé à les enchaîner. Ajouté à un bande-son de hip-hop chinois, le tout donne un résultat rafraîchissant et impertinent, qui a plu au public. « J’étais content que les gens rient, confie-t-il. Ce n’est pas possible de le savoir quand on donne une cassette à une télévision ». Présenter « Pékin 2008, doubles jeux » en avant-première mondiale au Figra lui a permis de sentir les réactions du public français, lui qui vit en Chine depuis cinq ans.

Anne-Gaëlle Besse et Pauline Froissart

Les lycéens débarquent

À 9h30, ceux qui se sont levés pour le documentaire "Iron Wall" sur le mur d'enceinte construit par Israël en Cisjordanie n'étaient pas forcément venus de leur plein gré. Dix-huit lycées ont envahi le palais de l'Europe, à l'initiative de leurs professeurs. Un peu plus de bruit que d'habitude dans la salle ; mais à la sortie, ils ont mis des bonnes notes.

Le sujet n'est pas évident, et son traitement encore moins: ce sont des Palestiniens de Cisjordanie qui ont filmé "Iron Wall", interviewé des Israéliens plutôt défavorables à la colonisation. Des Palestiniens qui ont montré les images-chocs des oliviers tronçonnés par l'armée pour construire le mur, en ceinturant un agriculteur qui perd son outil de travail.

Ont-ils vu un parti pris?

"Il y a des moments où on voit bien que les Israéliens sont les méchants, il y a des images violentes. On prend forcément parti.", raconte Marie, qui a mis 9/10 au film. "Ca reflète quand même la vérité", lui répond Adrien (il a mis 8/10). "Ah bon, tu y étais toi ? Tu la connais la vérité ?"

Il y a quand même consensus sur le côté didactique: pour Marie, "ça ne m'emballait pas tellement, j'y suis allée en ne connaissant rien au sujet. Ils ont bien retracé le processus: avant, pendant la colonisation, et la situation actuelle". "Ca retrace une histoire dont on n'a pas souvent parlé dans les médias", pense Adrien. "Ah bon, tu trouves? Mais non, on ne parle que de ça", répond Victor.

A 9h30, les élèves du lycée Yves-Kernanec, à Marcq-en-Barœul, près de Lille, sont donc bien réveillés, prêts à débattre sur Israël et la Palestine. Entre autres. Victor: "Sinon, on mange à quelle heure? Parce que j'ai bien envie de voir "La guerre sur la banquise" à 12h30". A chaque documentaire suffit sa peine.

Anne-Gaëlle Besse


Mercredi matin, d'autres élèves ont assisté à des projections, comme Anne, élève de terminale option cinéma. Elle a beaucoup aimé "Mémoires du 8 mai 1945" et "Colère de Chine".

Images Fanny Le Borgne et Nathalie Gros

"Rendre compréhensible le conflit au Darfour"

L'un vient de la presse écrite, l'autre du documentaire. Christophe Ayad et Vincent de Cointet ne se connaissaient pas avant de se retrouver autour du projet Darfour, autopsie d'une tragédie.

Europe, Etats-Unis, Khartoum, les réalisateurs ont rencontré de nombreux témoins et acteurs du conflit. Ils ont déniché des images inédites de la tragédie, avec la volonté affichée d'échapper aux clichés "du janjawid à cheval et des villages brûlés".



"Le drame au Darfour se lit suivant différentes échelles : régionale, nationale, continentale et internationale", explique Vincent de Cointet.
Grâce à une présentation chronologique et par chapitres, la tragédie darfourienne se trouve disséquée :
1- Les racines du conflit,
2- Massacres en huis clos,
3- L'espoir déçu,
4- Une paix impossible ?

Une fois la genèse du conflit détaillée, les questions subsistent. Quel avenir pour les 2,5 millions de déplacés ? Comment construire une paix sur plus de 200.000 tombes ? Seule certitude, "désormais, bourreaux et victimes devront cohabiter".

Nathalie Gros et Fanny Le Borgne

26/03/2008

Au nom de la vérité: "Du côté des anges", de Mathieu Verboud

Un travail d'investigation exceptionnel salué par le public.
Avec "Du côté des anges", Mathieu Verboud n'a pas laissé les spectateurs s'assoupir dans les fauteuils confortables de la salle de projection. Ceux-ci étaient au contraire curieux d'en savoir plus sur les "Whistleblowers", héros de ce reportage.

Les Whistleblowers, ce sont des citoyens lambda, ou presque. Un peu plus courageux que les autres, en fait, ces hommes et ces femmes n'hésitent pas à décrire des fautes graves ou dénoncer des faits de corruption. Ils se battent au nom de la vérité et de la morale, mettant en péril leur carrière professionnelle voire leur vie personnelle.
Peu connus en Europe, les Whistleblowers sont très nombreux aux Etats-Unis.
Un exemple: Sharon Watkins, qui n'a pas hésité à alerter le public des gigantesques fraudes comptables de son entreprise, Enron. La faillite d'Enron fut spectaculaire et Sharon, érigée en citoyenne modèle, fit la couverture de Time.
Mais les histoires personnelles des Whistleblowers ne se terminent pas toutes aussi bien, comme le démontre Mathieu Verboud. Certains de ces "lanceurs d'alertes" se retrouvent "placardés" voire perdent leur emploi, quand ils ne sont pas condamnés à de lourdes amendes.

Et là s'exprime tout le talent de Mathieu Verboud: parler de ces parcours souvent difficiles sans verser dans le larmoyant et la facilité.
Le sens journalistique avec lequel est traité le sujet, le travail d'investigation qu'a mené le reporter sont remarquables.
Le public l'a d'ailleurs noté, félicitant chaudement le reporter à l'issue de la projection.
Mathieu Verboud avait obtenu le prix de la meilleure investigation l'an dernier au Figra, pour le portrait d'une… whistleblower ("Une femme à abattre").
Obtiendra t-il les suffrages du jury cette fois-ci?

A lire: le sujet de Fanny Leborgne sur d'autres "lanceurs d'alerte"

Pauline Froissart